Mal de dos...

Sheitan se traînait. Littéralement. Il boitillait. Ce n'était pas ses pattes qui lui portaient préjudices, non, c'était son dos. Comme toujours. Sa colonne vertébrale le faisait souffrir, chaque jour. Il souffrait terriblement, à chaque seconde de sa vie. Quand sa colonne craquait de temps à autre, quand il se préparait des mixtures pour en venir à bout, jamais elle ne lui laissait de répit. Sheitan n'en pouvait plus. Il était soigneur, il pouvait guérir toutes les maladies les plus incurables au monde, tellement son savoir était immense! Mais cette douleur vive présente tous les jours dans sa vie, allait finir par le tuer. Et même si Sheitan n'avait jamais été crédule, jamais il n'avait gobé une légende, car pour lui, tout s'expliquait forcément par une réponse raisonnée et logique... Il se décida finalement, de tenter le tout pour le tout, et se baigner, du moins, se tremper, dans l'eau de purification. Il ne pensait en rien que cela marcherait, mais il lui fallait quelque chose pour se raccrocher à un espoir. Tout en marchant, si l'on pouvait appeler ça marcher, la souffrance intense que son dos lui faisait vivre lui retirait des gémissements.

Le renard leva les yeux vers la soudaine voie qui avait surgit. Il la connaissait assez bien pour pouvoir la restituer. Puis, il leva lentement la tête. Sa nuque aussi le faisait souffrir. Il essaya de garder une voix calme, mais la douleur dans son dos le ramena à la réalité.
- J'ai l'impression qu'on me poignarde. Oui, à part ça, je vais bien. C'est gentil de demander...
La fin de la phrase fut interrompue par un gémissement rauque de douleur. Il donna un coup de patte dans l'eau qui envoya quelques gouttes, en proportion de la taille du petit être.
- C'est n'importe quoi! Cette eau ne marche pas! Comme tout le reste d'ailleurs!!
Ses muscles étaient contractés. Il sentait son dos se plier dangereusement... et il tomba, dans l'eau, sur les flancs. N'étant pas dans les courants profonds, il ne craignait rien. Le grand loup noir face à lui ne semblait pas s'amuser de la situation. Bizarre...
Mais Sheitan ne s'en préoccupait pas, trop concentré sur ses respirations qu'il essayait de calmer. Toujours sur les flancs, à moitié dans l'eau, il se sentait légèrement mieux. PUisqu'il ne bougeait pas!

Sheitan restait sur les flancs, allongée et à moitié immergé. Il respirait calmement, sentant les lancements de son dos le lâcher. Sûrement car il était couché.
Il répondit d'une voix dans laquelle il espérait ne pas faire entendre la douleur qu'il endurait, car , au regard de Night, on pouvait voir de la terreur.
- De toute façon, je ne le croyais pas. Et...Non, n'appelle personne.
Il se releva, tremblant comme une feuille sur ses longues pattes frêles. Son dos était courbé d'étrange manière, et le visage de Sheitan se crispa. Il avait tellement mal. Il se décida enfin à parler, mais ses paroles étaient froides, comme la lame du couteau qui lui transperçait toujours la colonne, et douloureuses, autant pour ce qu'il ressentait que pour ce qu'il allait demander.
-J'ai une faveur à... te demander.

Il avait des yeux clairs, s'assombrissant progressivement vers le centre. Il formulait son voeu tout bas. Il lui fallait le courage nécessaire pour le demander à Night. Celui-ci refuserait sûrement catégoriquement. Et pourtant il le fallait. De nouveau la souffrance le paralysa. La mâchoire crispé il lança un regard très douloureux au loup noir. Il tremblait. Il faisait vraiment peine à voir. C'était le chose la plus dure qu'il n'avait jamais eu à demander à quelqu'un. Et il ne le demandait pas à n'importe qui. Quelqu'un qui n'est pas trop attaché à lui, mais en qui il a confiance. Sa fourrure avait perdu sa beauté. Ses poils avaient perdus leur douceur et leur luisance. Ses pattes, sa tenue, tout son corps avait perdu toute dignité. Mais surtout, ses yeux avaient perdus tout leur éclat.
-Je veux que tu m'aides à mourir.

Sheitan vit dans le regard de Night que celui-ci était réticent. Et c'était compréhensible, totalement. Sheitan se recoucha, ou plutôt lâcha prise car ses muscles étaient bien trop tendus. Couché, il regarda à côté de Night, ne le regardant pas dans les yeux, pour lui prouver son respect.
- Je... Je comprends. Ce n'est pas grave, oublie...
Ses yeux ternes et ses pattes tremblantes, il réfléchissait. Il pouvait très bien le faire seul. De toute manière, même s'il ne faisait rien, il ne tarderait pas à succomber à d'atroces souffrances telles que celles-ci. Puis il pensa à Narya et Rising Sun, ses meilleures amies. Il faudrait qu'il leur disent au revoir, ou qu'il cache un message quelque part où elle passerait en le cherchant. Un vif coup de poignard le reprit de plus belle et il se coucha sur les flancs, respirant lentement pour calmer la douleur. Il regardait Night qui s'approcha de lui, un regard étrangement flou. Y aurait-il une légère pointe de tristesse? Sheitan était bien trop occupé à songer de quelle manière il pourrait abréger ses souffrances, qu'il ne le vit pas....

Depuis ma mésaventure avec UVA, et les sentiments que Night et moi nous étions avoués, je me sentais beaucoup mieux. J'avais encore les cicatrices apparentes du combat, mais je les portais fièrement, malgré ma défaite. Parce que même si j'avais perdu physiquement la bataille, je savais que la louve Black' reconnaissait mes capacités. Et je savais que je n'avais pas perdu la guerre... j'aurais toutes mes chances de la vaincre à un autre moment, avec un peu plus d'entraînement.
Pas dans le but de faire disparaître les marques de notre combat, mais plutôt pour atténuer les douleurs, je me rendais à l'eau de purification pour y boire quelques gorgées du lac sacré. Je n'avais pas vu Night depuis qu'il m'avait ramenée chez moi, et j'ignorais ce qu'il avait fait depuis, et où il avait vécu entre temps. Je me doutais qu'il n'était pas rentré chez lui tout de suite, puisqu'il avait laminé UVA pour moi et qu'il devrait en payer le prix auprès de Saakis, lorsqu'il retournerait au sein de sa meute. J'espérais qu'il n'avait pas encore rejoint les siens, car j'avais dans l'idée de l'y accompagner le moment venu, juste au cas où. Malheureusement, mes faiblesses et ma grande fatigue m'avais empêché de lui révéler les raisons de mon comportement ces derniers temps. Je n'avais toujours pas eu l'occasion de l'informer de mes premières chaleurs, dont Sheitan m'avais mise moi-même au courant.
Alors que j'arrivais sur place, je découvrais justement mes deux amis. Le petit renard semblait souffrir et il me paraissait déçu. Quand à mon cher Night, je décelais dans son regard, comme un voile de tristesse et d'amertume. J'espérais ne pas en être la cause...
Doucement je m'approchais, heureuse de les voir tous deux, et me demandant en même temps, ce qui se passait entre eux...
Je restais silencieuse, attendant que l'un d'eux me remarque et prenne la parole.

Les muscles de Sheitan relâchèrent un peu leur étreinte douloureuse à la vue de son amie. Rising Sun était là, et on pouvait voir de l'incompréhension dans son regard. Les deux êtres les plus chers à ses yeux étaient bizarrement graves et la mine que devait afficher Night devait être bien sombre. Car il se plaça devant le renard avant de bafouiller des excuses. Tellement simples, mais tellement belles. Sheitan ne put s'empêcher de constater l'énorme rapprochement qu'il y avait eu entre ces deux-là. S'il quittait ce monde, il savait qu'il y aurait au moins deux loups, ses amis, qui auront été là, et qui laisseront une trace. Le regard vide, il regarda Rising Sun dans les yeux. Il essayait de faire abstraction de sa douleur pour pouvoir lui parler. Et une seule phrase sortit de sa bouche, avec beaucoup de difficulté.
- Il ne faut pas m'en vouloir.
Puis, plus aucun mot ne voulut voir le jour. Il se crispa de nouveau, sa mâchoire se serra, pour éviter de crier de douleur, une douleur lancinante.

- Ris ... Euh ... Je suis désolé.

Night semblait chercher ses mots. Il s'était placé entre Sheitan et moi, m'empêchant de voir le petit renard.
Et alors que je m'apprêtais à demander des explications, la petite voix faible et difficile de Sheitan, vint comme elle pu jusqu'à mes oreilles.

- Il ne faut pas m'en vouloir.

N'y comprenant rien, je regardais Night avec un regard perdu. Mais se lisait sûrement aussi dans mes yeux, ma grande inquiétude pour Sheitan. Que pouvait-il être arrivé à mon ami depuis la dernière fois que je l'avais vu? Et Night? Avait-il revu Saakis? Non, impossible. Il m'a promit qu'on se reverrait immédiatement après.
Je m'avançais lentement vers les deux mâles, mais ne m'arrêtais pas devant Night. Je continuais pour trouver Sheitan et constater de mes propres yeux les souffrances qu'il endurait.
D'un regard inquiet, je dévisageais mon ami de la tête aux pattes, cherchant une quelconque blessure.

- Sheitan, que t'es-t-il arrivé, mon ami?

Puis je lançais un appel plein de détresse à Night en plongeant mes yeux dans les siens. Je voulais comprendre ce qui faisait du mal à mon ami, mais tout autant je voulais être certaine que Night serait toujours auprès de moi.

La douleur s'estompa légèrement. Juste assez pour que le petit être se redresse un peu, et reprenne son souffle. Il restait néanmoins crispé, un peu penché sur la gauche pour éviter une nouvelle crise soudaine. Il respira doucement, inspiration, expiration.
Ses yeux brillaient de fièvre. On le sentait très mal, il transpirait littéralement la souffrance.
Et d'une voix qui se voulait minimaliste, il commença:
- Tu te rappelles du ... des orchidées ? Blanches? Mon dos va trop mal à présent... et le problème est que la douleur se propage dans tout mon corps, me donnant de grands coups de...
Il se plia à nouveau, sous le coup d'une nouvelle vive douleur.
- ... Poignards.
Puisqu'il ne pouvait plus terminer avec des mots, il se releva, luttant contre l'intense mal qui le rongeait. Ses pattes tremblantes découvrirent son corps décharné: son poil était terne, sa maigreur épouvantable. Et surtout, on pouvait "admirer" l'horreur que procurait la vision de sa colonne vertébrale tordue d'étrange manière. Ses tendons, tirés au maximum, et ses muscles ne le tinrent plus, et il tomba à nouveau sur les flancs. Respirant doucement, la sueur l'enveloppant, il regarda son amie, ayant honte de se montrer ainsi.

Dans un élan, peut-être maternel, je le rejoignais d'un bond et me couchais à ses côtés. J'avais mal de le voir dans cet été, et surtout, j'avais peur que ce ne soit la dernière fois... M'enroulant autour de son corps minuscule et en piteux état, je lui donnais des coups de langues affectueux, tentant autant de le rassurer que de me rassurer moi.
M'arrêtant un instant, je lançais un regard affolé à Night avant de fixer de mes yeux bleus, le corps tremblotant de Sheitan.

- Dis-nous seulement ce dont tu as besoin, nous irons le chercher.

Ma voix était brisée. Et même si les derniers évènements étaient les plus heureux de ma vie, je ne pouvais m'empêcher de les laisser de côté en ce triste moment. Qu'allait-il advenir de mon si cher ami? Quelle était cette douleur qui le frappait si injustement? Et comment pourrait-on la combattre? Toutes ces questions se bouleversaient dans ma tête, désormais prête à exploser sous la peur et la douleur. Moi qui était si dure à supporter, et qui l'avait maltraité dès notre première rencontre, je ne pouvais désormais plus concevoir ma vie sans ce minuscule rouquin dans mes pattes.
Prenant une voix réconfortante, je continuais de lécher son corps meurtri par des maux qui nous étaient inconnus.

- Eh, ce n'est pas la fin pour toi. Alors je n'ai rien à te pardonner. Tu va encore m'embêter longtemps, et me donner plein de conseils.

Repensant au jour où il m'avait appris que j'étais en chaleur, je lançais un discret regard à Night avant de reprendre de cette même voix maternelle.

- Et tu sera à mes côtés lorsque que lui apprendrai. Tu sera là encore lorsque je serai maman, et tu apprendra à mes petits, comment l'on embête un papa grincheux.

Je tentais un sourire rassurant, mais je savais que mes yeux de lupine trahissaient toujours autant mes sentiments, et que Sheitan lisait sûrement toujours en moi comme dans un livre ouvert. Je restais cependant silencieuse, cherchant un moyen de protéger mon ami d'une fatalité que je ne pourrais jamais me résoudre à accepter.

Sheitan eu un pauvre sourire. Face à l'inquiétude de son amie. Face à son désarroi. Face à tout l'amour qu'elle dégageait soudainement. Et d'une misérable voix, il dit, chuchotant à l'oreille de sa meilleure amie:
- D'où te viens cet optimisme ? Tu n'es pas comme ça...
Il essaya l'ironie, mais celle-ci ne fit pas sourire Rising Sun.
- On ne peut plus rien faire.
Son souffle était rauque. La chaleur de son amie l'enveloppait, lui réchauffant à la fois le corps mais aussi le coeur.
Plein d'amertume, il lui fit part de son souhait.
- Il faut... que vous m'aidiez à partir...
Elle le dévisagea. Il ne baissa pas les yeux. En lui montrant du mieux qu'il pouvait qu'il s'était battu, en lui montrant qu'il n'y avait plus de leur d'espoir... elle comprendrait. Elle comprit. Et elle lui sourit. Enfin, elle se leva, se dirigeant vers Night. Ils chuchotèrent. Tellement de mots que Sheitan ne put pas entendre. Il ferma les yeux. La douleur n'était plus aussi précise... Elle était très diffuse...
Le noir lui fit du bien... Il voulait partir... s'en aller... lâcher prise...

- Il faut... que vous m'aidiez à partir...

Je n'en revenais pas. Comment pouvait-il me demander une telle chose? Comment osait-il? Mais devant son état, je ne pouvais continuer éternellement à prier pour un miracle.
Il fallait que ça s'arrête. Il méritait de partir après tout ce qu'il avait pu faire pour nous, pour moi. Je plongeais mon regard dans celui de mon si cher ami. Ce serait moi. Pas Night. Il avait assez à attendre des Black, je refusais que les Light s'en prennent aussi à lui. Mais cette raison n'était pas la principale qui me poussait à vouloir faire cesser moi-même les souffrances de Sheitan. Il était mon ami. Pas celui de Night, le miens. Il m'avait donné beaucoup plus que tous les loups que j'avais pu rencontrer dans ma triste vie. Je lui devais trop. Il était de mon devoir à présent, de lui offrir la paix à laquelle il rêvait tant et qu'il méritait plus que n'importe qui.
Je me levais, le sentant se refroidir immédiatement. Lui donnant un regard rempli d'amour et de compréhension, je lui souriais une dernière fois.
Je partais vers Night et fourrais mon museau dans la fourrure de son encolure, cherchant la force qu'il possédait.

- C'est à moi de le faire. Mais j'aurais besoin de toi. Ne me laisse pas seule...

N'attendant pas de réponse de la part de mon amant, je repartais lentement vers Sheitan, ignorant s'il me voyait encore. Je lui donnais un coup de museau avant de plonger mes orbes azur dans son regard de feu.

- Il est hors de question que je fasse couler ton sang. Et il est hors de question que j'attende ton dernier souffle en t'étouffant lentement. Mon cher Sheitan, je prendrai ta vie sans que tu n'en souffre, et je ferai pour toi la plus honorable des sépultures.

Je ne savais pas s'il m'entendait toujours, et j'ignorais également s'il me voyait. Mais je gardais ce fol espoir et l'enserrait fortement, une dernière fois, contre moi.
Une larme roula le long de mon museau et attérit juste au creux de ses oreilles.

- Je t'aime, Sheitan. Et jamais je ne t'oublierai.

Je le regardais une dernière fois, puis allongeais son petit corps et prenait sa nuque dans ma gueule. Fermant violemment les yeux, je serrais les dents d'un coup sec, sentant ses os se briser en un craquement sourd que, je le savais, je n'oublierais jamais.
Je reposais lentement sa tête sur le sol, et plaçais son minuscule cadavre, rachitique, en boule. Pour me donner l'illusion qu'il dormait, et pour me donner l'espoir qu'il était bien, je le mettais dans la position de sommeil d'un renard. Mon museau était inondé de larmes, et aucun son ne sortait de ma gueule. Silencieuse, ombre de moi-même, je tournais le dos à celui qui fut le plus cher de mes amis, et entreprenais de creuser sa tombe, juste sur la rive sur lac sacré.
Après quelques heures de dur laveur, enfin satisfaite de mon funeste travail, je m'approchais à nouveau de la dépouille de Sheitan. Le caressant de mon museau, je constatais sa froideur et sa rigidité, qui fit dégouliner de nouvelles larmes sur la truffes.
Ne voulant pas humidifier son pelage qui commençait déjà à perdre ses couleurs flamboyantes, je secouais vivement la tête avant de le pousser délicatement jusqu'au trou. Le retenant avec ma patte pour qu'il reste droit, je le posais doucement dans sa tombe et lentement je le recouvrais de la terre que j'avais retournée. En plusieurs minutes qui me parurent des heures, je refermais définitivement le sol sur le petit corps de Sheitan, et lui adressais un dernier au revoir.
Enfin, je me tournais vers Night qui s'approcha lentement de moi. J'étais heureuse qu'il m'ait laissée faire jusqu'au bout. C'était le seul hommage que j'avais pu rendre à Sheitan, et je remerciais Night du fond du coeur de ne pas m'en avoir privée.
Lorsqu'il se présenta devant moi, je fondis en larmes dans la fourrure de son encolure et me vidais de mes larmes, en silence contre lui.

Magnifique RP les amies. Je crois que c'est le plus beau auquel j'ai participé dans toute ma vie de RPG.
Merci à vous deux, je verrouille.