❝ I'm worse at what I do best ❞

Ces derniers temps, je suis restée très calme. Je ne suis pas vraiment allée dans leur monde, je n'ai tourmenté personne. J'ai été plutôt sage, les mortels ont été libérés du fléau, du moins temporairement. En fait, tout ce temps j'étais dans mon coin, seule, à réfléchir. Mais je dois avouer que je m'ennuie, maintenant. Et beaucoup de choses continuent à travailler en moi. J'ai besoin de marcher, besoin de voir la nature.

Sageeth. C'est vers lui que se dirigent mes pauvres pensées. Mon esprit torturé se remémore ses souvenirs, tous. Y compris les pires. Et une colère me gagne, au même titre que de la tristesse. Des larmes menacent même de couler ... Mais voyons ! Je suis Pandore, je ne pleure pas ! Je ne suis pas faible ! Je ne suis pas faible .....
Et puis, il y a petit à petit une autre personne, qui gagne sa place dans mes pensées. C'est Naaman. Je l'ai rencontré il n'y a pas très longtemps finalement, mais je me suis déjà attachée à lui. Étrange, venant de moi. Mais le lien qui nous unis est indescriptible. A la fois il m'attire, pour de nombreuses raisons. Il est grand, beau, et noble. Il aime et respecte la nature. Mais une partie de moi me dit qu'il n'est pas à mon goût, je n'aime pas la bonté. Et puis je n'ai pas de sentiments de ce genre ! Le pire dans tout ça, c'est que je suis aussi attirée par Saakis, son exacte opposé ... Et je ne peux pas me le permettre.

Cependant, j'ai besoin de le revoir. Encore une fois. C'est plus fort que moi. C'est pour cette raison que je me suis dirigée dans son territoire. Mais avant d'avancer plus loin dans ces terres, une vague d’anxiété me prend au dépourvu. Je suis frustrée, je sens mon humeur se dégrader rapidement. Il faut que je me défoule. Et une biche passe au même moment que cette pensée me vient. Ah, elle n'aurait pas dû passer par ici, elle ! Aussitôt, je fonce droit sur elle ... Sans faire attention. Et j'étais tellement subjuguée par cette profonde envie de sang, que je n'ai pas vu ce trou, dans le sol. Et ma pauvre patte en subit les conséquences. Aïe ! C'est pas vrai ! Et ça fait mal en plus ! Je me sens idiote, à trébucher si bêtement. Ma patte est tordue, et je boite. Je soupire.

- C'est décidément pas mon jour.

Mais maintenant, je dois repartir d'ici. Je ne veux pas voir le grand Naaman dans cet état. Que va-t-il penser de moi ? Je ne veux pas être vue faible, encore moins honteuse. Qui je suis pour faire une gaffe si idiote ? Je pense que ce serait arrivé à quelqu'un d'autre, j'aurais ri comme pas possible. Mais là j'ai envie de tout, sauf de rire, je peux le garantir. Mais avant que je ne rebrousse mon chemin, j'entends des bruits derrière moi. Zut, il y a quelqu'un d'autre ici. Je me redresse, pour ne pas avoir l'air misérable. Je lève les oreilles, et je repose ma patte meurtrie au sol, avant de souffler quelques mots.

- C'est bon, pas besoin de te cacher, ton odeur empeste l'air.

J'espère juste que ça ne sera ni Naaman ni Elwing.

La femelle s'avance devant moi, sans même camoufler son amusement de son visage béat. Ce n'est décidément pas mon jour. Mais elle n'imagine même pas qui elle a devant elle. Ceci dit, une fois devant moi, elle se rend sans doute compte de son erreur, et corrige très vite son attitude. Alors, je sens en elle de la gêne, mais aussi de la peur ... Bien, très bien. Voilà qui est mieux. Je m'avance lentement vers elle. Elle a raison de me craindre, car je ne vais pas laisser passer cette attitude sans rien faire. J'ai toujours besoin de me défouler, mes nerfs sont encore engourdis, même bien plus qu'auparavant en raison de ma "chute", si je puis dire. Elle va regretter son amusement quant à ma médiocrité. Et puis de toute façon, je ne l'aime déjà pas. Si facilement impressionnée, la pauvre ... Pour moi, ce sont les faibles qui réagissent comme ça. Elle n'a aucun cran. Du moins pas à ce que j'ai pu voir. Enfin, de toute façon pour moi ce sont presque tous des faibles, ces microbes de mortels. Ou presque tous ...

Je poursuis mon avancée en sa direction, me délectant déjà du goût cuivré de sang qui ne va pas tarder à remplir ma gueule, et couler lentement au fond de ma gorge. Je me lèche les babines d'impatience. De toute façon, pourquoi l'épargnerais-je ? Même si je ne connais pas du tout son identité, ce n'est pas grave. Blackness, vagabonde ou même Light, ça n'a aucune importance pour moi. Je considère avoir fait preuve d'assez d'indulgence depuis que je suis arrivée sur ces terres, il est temps de prendre mon dû. Et de toute façon, je suis énervée. Et quand je suis énervée, rien ne peut faire entendre raison à mon sale caractère. Je la fixe, droit dans les yeux, en même temps que je m'approche. Mes muscles se crispent, je suis prête à bondir d'une seconde à l'autre, et .....

... Et finalement, quelque chose me retient. Elle porte SON odeur, LUI qui envahit mes pensées en ce moment. Elle semble proche de lui, ou du moins, elle a un rapport direct avec celui-ci. Naaman, évidemment. Je ne peux pas lui faire du mal, pas en toute connaissance de cause ... Et bien, tant pis pour moi. Et pour la Xème fois depuis mon escapade de la journée, je persiste à penser que ce n'est pas mon jour. Mais alors pas du tout.

Je ne sais pas si elle se rend compte de la chance qu'elle a. Elle aurait été n'importe quel autre loup de ce monde, elle aurait déjà rejoint ses ancêtres à l'heure qu'il est. Mais elle est liée à l'honorable Alpha des lumières, et en tant que telle, je ne peux rien lui faire. Du moins rien de définitif ... Comme la mort. Et finalement, quand je suis tout proche d'elle, que je peux sentir son souffle saccadé, je m'assois à la place de lui bondir dessus.

- Ma parole, tu n'es pas bien bavarde. On t'a coupé ta langue ?

Ce n'est pas parce que je ne peux pas lui faire de mal que je dois forcément être gentille ou aimable avec elle. Je ne suis pas une hypocrite, et je ne lui dois rien. C'est pour Naaman que je l'épargne, pas pour elle. Si en plus je devais me montrer attentionnée, ce serait le pompon.

- Alors, dis-moi. Enfin si tu retrouves la parole évidemment. Qu'est-ce qui t'amuse comme ça ? Une chose en particulier de risible ?

Et accompagnant mes paroles provocantes, mon regard de défi la nargue. Va-t-elle oser dire la vérité, ou va-t-elle fuir ? Personnellement, je préférerais qu'elle reste, ce serait bien plus amusant. Cela dit, je ne suis pas sûre de pouvoir résister à mes pulsions meurtrières très longtemps au vu de mon état d'esprit.

Finalement, je l'ai peut-être jugée un peu vite. Elle reprend de l'allure lorsqu'elle me parle, sa voix prend un grain de mépris, elle me défie clairement : a-t-elle deviné que je ne compte pas l'achever ? Si tel est le cas, peut-être ne sait-elle pas que je ne vais me gêner pour la faire souffrir, si elle va trop loin. Et cela pourrait lui coûter cher, même si bien moins que je ne le voudrais. Oui, voilà, c'est ma vraie nature. Je torture les esprits, et ça me plait. Je me languie de la souffrance des autres. Est-ce en quelque sorte pour me venger de toute la souffrance que j'ai moi même accumulée dans mon existence ? On ne peut jamais savoir d'où nos pulsions meurtrières viennent, elles sont enfouies trop profondément en nous. Tout ce qu'on sait, c'est qu'elles sont là. Et dans mon cas, cela fait bien trop longtemps pour compter. Elles sont dans mon être, et ne bougeront pas, même avec la compagnie de Naaman. Suis-je née avec ? Cela n'est pas une thèse à écarter.

- Oh si, j'ai vu une louve s'empêtrer la patte dans un trou. Je me suis bien marrée. Savez-vous qui c'est ? Bien entendu, je réserve ma langue au plus gentil des loups du monde.

Lentement, je m'approche encore un peu d'elle, jusqu'à ce que nos museaux se collent presque. Je sens sa respiration chaude sur ma truffe, elle n'a pas l'air encore à l'aise, même si elle le cache bien. La pauvre, elle pense avoir réussi à me clouer le bec. Si elle savait à quel point cette réaction était attendue ... Je ricane d'un air sadique, mes yeux la fixent. Mon rire n'a rien d'agréable, encore moins de rassurant. Cela dit je dois avouer que ça m'a permis de voir mon erreur : elle n'est pas si lâche que ça. Ou alors elle est inconsciente. Mais je suis contente qu'elle n'ait pas pris la fuite. Elle n'est donc pas ce genre de loups que je haie plus que tout. Et puis, ce sera plus amusant.

- Ah oui ? C'est donc ça qui te fait rire comme un louveteau ? Soit, à chacun son degré de maturité. Mais tu penses réellement que je devrais me sentir honteuse par rapport à ça ?

Je me lève doucement, et commence à lui tourner autour.

- Tu sais, je peux bien trébucher de toutes les manières qu'il soit, je serais toujours plus digne que n'importe lequel de ton espèce minable. Je ne prends même pas la peine de noyer mon mépris, encore moins mon dégoût quant à ces loups primitifs, mortels.

- Mais, puis-je te poser une question, ma chérie ? As-tu réfléchi à qui tu avais à faire avant de foncer aux moqueries ?

Mes yeux brillent de malice, mais surtout de défi. Je pense déjà connaitre la réponse, je suis presque sûre qu'elle ne va pas me distinguer des autres parasites, et qu'elle va continuer à me défier. Mais j'aime bien ce genre d'échange. Après tout, si on ne me répondait jamais lorsque je provoque, ça ne serait plus aussi amusant. Je m'en serais même lassée.

Et pour illustrer mes propos, le sol commence à trembler quelque peu, avant que des ronces n'en sortent. L'une des branches vient titiller son blanc pelage, tandis que le second vient s'enrouler autour de ma patte meurtrie.

Et pour finir, je ne peux m'empêcher d'ajouter une phrase, pour tenter d'en savoir un peu plus à son sujet. Une phrase choisie avec soins, ayant un but précis.

- Ton mentor ne t'a jamais appris à te méfier des inconnus ?

Ça y est, j'ai tout ce que je souhaitais. Elle est irritée, même plus que ça, elle est énervée. Énervée contre moi. Et j'ai également pu vérifier mon intuition, elle est donc effectivement l'apprentie de Naaman. Et pour finir, elle sait qui je suis.

- Evidemment que j'aurais ri, ma fille. Je ricane à nouveau. Et je peux me le permettre, moi. Regarde, même si tu voulais me faire du mal, tu ne pourrais pas.

Je la regarde, confiante. Et un large sourire se dresse sur mon visage pourtant assombri par la vanité.

- Je vois que tu n'as pas perdu beaucoup de temps avant de découvrir mon identité. Mais au moins, on t'a parlé de moi, ce qui illustre bien ma réputation. En revanche, toi .... Je la dévisage un instant, presque avec un regard de dégoût. Je ne pense pas avoir eu vent de tes actions.

Et puis, je réfléchis un instant. Elle est l'apprentie de Naaman, je ne devrais pas trop l'embêter. Ce n'est pas de cette façon que je vais continuer à me rapprocher de lui. Et ce serait bien dommage de déjà détruire tout ce que j'ai déjà commencé à construire, et qui peut-être pourrait me rapprocher un peu de la voie de la sagesse.

- Naaman ... Tu crois que j'ai peur de lui ? Tu te méprends, chère amie. Cela m'étonnerait beaucoup que Naaman me veuille du mal, du moins pour le moment. Je suis libre sur ce terrain là. Et que ce soit dit en passant, Saakis a déjà tenté sa chance de ce côté là, il y a quelques jours. Et tu vois, je suis toujours là.

Je lui souris chaleureusement. C'est vrai, le seul qui peut se vanter de me faire réellement peur sur ces terres, c'est Saakis, même si jamais je ne l'avouerais aux yeux de tous. Mais petit à petit, je sens mes pulsions se calmer. Et puis, lors d'un déplacement, je peux la voir boiter légèrement. Oh, je ne suis pas un guérisseur, ceci dit, en tant que louve de la terre, je connais pas mal de plantes médicinales, et j'ai appris avec le temps quelques petits trucs concernant les soins. Et je peux facilement voir qu'elle a là une vilaine fracture, qui pourrait devenir très mauvaise si elle n'est pas soignée. Et quelque chose me vient à l'esprit. Naaman a su me faire ouvrir les yeux sur certaines choses, et même s'il ne le sait pas encore, il m'a beaucoup aidée. Il semble avoir un effet positif sur moi, grâce à notre discussion, j'ai l'impression qu'un lourd fardeau m'a quittée. Je suis plus tranquille pour certaines choses, et je me sens moins coupable pour d'autres.

- En parlant de ce cher alpha, j'ai une dette envers lui. Ma voix reste neutre, tout comme mon comportement global. Et mon regard vient se poser sur sa blessure. Tu as là une méchante fracture. Cela pourrait être très mauvais de se garder de la soigner. Et à ce que sache, il me semble que vous n'avez plus de soigneur chez vous.

Je ne sais pas si elle va accepter mon aide, mais je m'en fiche. Libre à elle de refuser, si il lui arrive des bricoles à cause de ça, je ne serais coupable en rien. Au moins j'aurais essayé. Car effectivement, je ne suis finalement pas si méchante que ça, au fond .... Vraiment au fond.

La pauvre chérie, toujours aussi ignorante. Comme si c'était pour elle que je faisais cette offre. Décidément elle est toujours à côté de la plaque celle-la.

- Comme je viens de le dire, j'ai une dette envers ton mentor, Naaman. Autrement dit, ce n'est pas pour toi, que je vais le faire, mais pour lui, et pour lui uniquement.

Ma voix est piquante, toujours remplie de mépris. Mais je reste tout de même relativement neutre, je n'ai rien de menaçant de par ma posture, ou mes mots directement.

- Alors maintenant, si tu veux bien, cesse de parler avant que je ne change d'avis.

Et sur ces dernières paroles dignes de moi, je ferme les yeux, et sous notre regard, deux ravissantes plantes sortent de la terre. Il y a une timide pousse de gingembre, et à côté se dresse fièrement un magnifique cannelier. Je m'approche d'eux, et les cueille soigneusement, avant d'en extraire les racines et écorces, et de les déposer sur un large morceau de bois creux. Et ensuite, ce sont d'autres ronces que je contrôle, avec lesquelles je saisis une pierre, et transforme les plantes en une pâte compacte. Et lentement, je m'avance de l'apprentie de Naaman, et me couche sur le sol.

- Et voilà, plus qu'à étaler sur ta blessure, cela devrait faire l'affaire. Ça désinfectera et ça aidera tes tissus à se réparer. Oh, et inutile de me remercier, je n'en ai que faire.

C'est vrai, si une personne doit me remercier, ce doit être Naaman, et uniquement lui, car il est le seul à qui est destiné cet acte de "générosité". Et s'il ne le fait pas, ce n'est en aucun cas un problème pour moi. De toute façon, je ne souhaite pas être remerciée. Je ne fais pas le bien. Parce que si on fait du bien, les autres ont des attentes envers nous. Et je ne veux pas que cela se produise pour moi, je ne veux pas avoir à constamment me montrer à la hauteur de leurs espérances. Je suis une sorte d'électron libre, qui voyage où le courant le guide. Je suis une louve libre, qui pense, dit et fait ce qu'elle veut. Je ne dois rien à personne, je suis sauvage et imprévisible. Je suis Pandore, la seule et unique, celle a qui les Puissants ont donné naissance, et qui protégerait la nature au péril de sa propre vie.

- Merci, vous feriez une formidable mère.

Cette voix tourne dans ma tête, plusieurs fois, avec toujours un peu plus d'échos. Ces quelques mots, qui pourraient facilement sembler futiles, ont finalement beaucoup d'impacte dans mon esprit de louve élémentaire. Moi, une formidable mère ? Je ne suis pas sûre d'avoir compris. Mais après me l'être répété dans tous les sens possibles et imaginables, il n'y a plus de confusion, c'est bien ce que l'apprentie de mon cher Naaman a déclaré. D'un ton vraiment naturel, qui plus est. Comment quelqu'un peut penser une telle chose de moi ? Je n'ai toujours attiré que le mépris, la haine ou encore la crainte, jamais personne n'avait vu en moi quoi que ce soit de maternel. Cela dit, cet enchaînement de 6 mots me font profondément réfléchir.

En effet, comme je vis depuis l'origine des temps, tout le monde est prêt à affirmer sans penser se tromper que j'ai déjà de nombreux descendants. Mais ce n'est pas le cas. Pas même l'ombre d'un quelconque fils ne pointe le bout de son nez dans ce monde. Sans doute à cause de ma difficulté à m'attacher, ou de mon entêtement. Mais ça ne m'a jamais empêché de vivre.

Mais il y a eu une fois ... Oui, une fois, j'avais eu la mauvaise idée d'espérer fonder une lignée. J'avais pensé pouvoir être heureuse, être une mère ... Mais le père potentiel m'avait été arraché subitement. Il était parti dans le royaume des morts, ou le clan des étoiles, comme on dit parfois ici, sans même pouvoir me dire "au revoir". Et il avait laissé en moi un gouffre amer. Sageeth. Mon Sageeth. Après lui, je ne m'étais plus jamais entichée d'aucun mâle. Jusqu'aux deux frères, naturellement, même si je ne l'admet toujours pas.

Je secoue soudain la tête, pour effacer ces sombres pensées. Je ne veux plus y penser, mon coeur est déjà assez peiné comme ça. Et puis, j'ai déjà un enfant, le plus puissant de tous qui plus est, et le plus éternel.

- Comment peux-tu affirmer une telle chose sans même me connaître ? Tu as encore beaucoup à apprendre ma mignonne.

Mais ces mots ne sont pas agrémentés de venin, non, le ton employé est plutôt plat, démuni de sentiments. Je suis très douée pour cacher mes ressentis, j'ai une éternité d'expérience dans ce domaine.

- Et puis ... La nature est ma fille.

Et pour illustrer ces propos qui me tiennent à coeur, une rose, belle et fière, pousse à mes pieds. Son doux parfum emplit l'air, traversant nos narines, avec son odeur fruitée. Et enfin, je tend un sourire à la femelle qui se tient devant moi.